Initiation aux méthodes intégrées au jardin potager
Chapitre : Fertilisation
Articles précédents ou suivants ; cliquez sur un titre pour accéder à la page
⇒ La problématique de l'assimilation de l'azote en agriculture biologique.
Si le label européen AB précise que « les végétaux devraient être nourris de préférence par
l’écosystème du sol plutôt que par des engrais solubles ajoutés au sol » (le plus souvent par la culture de légumineuses), un apport extérieur de nutriments sous forme d'engrais organiques s'avère incontournable pour compenser les pertes provoquées par les récoltes. Les engrais organiques doivent répondre à normes réglementaires rigoureuses en ce qui concerne notamment leurs compositions. La norme AFNOR NF U 4242001/A10 décrit deux types d’engrais organiques :
•
Les engrais organiques azotés d’origine animale et/ou végétale riches en azote (sang desséché, corne broyée, corne torréfiée, cuir, bourres de laine, poudre de plumes….). Ils sont destinés à booster les cultures en cet élément, mais contiennent aussi les autres éléments majeurs.
•
Les engrais organiques NPK, NP, NK d’origine animale et/ou végétale (guano d’oiseaux ou de chauves-souris, engrais de poisson, poudre de viande, poudre d’os, fientes de volaille, vinasse de betterave ou de canne à sucre, farine d’algue marine, vinasse viticole...). Ces engrais doivent au moins contenir 3 % d'un élément majeur (azote, phosphore, potassium).
Les engrais organiques contiennent différents composés organiques qui sont décomposés par la microflore notamment en nitrate en passant par différents stades avec production de polypeptides, acides aminés, amides, ammoniac, nitrites et nitrates. Les polypeptides ont une durée de vie plus ou moins longue et sont la source principale de la réserve d’azote dans le sol.
Les engrais organiques, qu'il ne faut pas confondre avec les amendements organiques, interviennent peu dans l'humification des sols. Ils ont surtout pour objectif d'apporter des éléments nutritifs aux cultures alors que les amendements organiques visent à améliorer les propriétés biologiques du sol (biodiversité microbienne, CAH, réserve humique…). Certains engrais organiques vendus en jardinerie contiennent une proportion équilibrée de divers éléments organiques pour à la fois entretenir le sol et nourrir les plantes. Quelle que soit leur classification, tous les engrais organiques ont pour défaut de se plier difficilement à une gestion optimale de l’azote durant la période de culture. Pour quelles raisons ?
L’azote est l'élément majeur qui est sujet à des pertes les plus importantes durant le processus d'assimilation des intrants (1). Le phosphore et le potassium sont moins sujets à des pertes quand le sol est riche en CAH. Les ions phosphates et potassiques sont fixés par les CAH ce qui n'est pas le cas des nitrates. En outre, les sels de phosphore ont tendance à se bloquer avec d’autres substances comme le fer quand leur forme soluble est en excès, ce qui engendre un problème notoire en agriculture, le phosphore se trouvant alors indisponible. L’on peut se retrouver avec une carence en phosphore alors que le sol est riche en cet élément bloqué dans le sol.
Le principal moteur de l'augmentation de l'oxyde nitreux atmosphérique provient de l'agriculture intensive avec un usage inconsidéré des engrais azotés minéraux ou organiques. Les émissions provenant des engrais de synthèse dominent les rejets en Chine, en Inde et aux États-Unis, tandis que les émissions provenant de l'application de fumier comme engrais dominent les rejets en Afrique et en Amérique du Sud. L'Europe est la seule région du monde qui a réussi à réduire les émissions d'oxyde nitreux au cours des deux dernières décennies (3) probablement liées aux nouvelles méthodes d’épandage plus économes des engrais minéraux en agriculture conventionnelle. Cette étude montre les faiblesses d’une agriculture construite uniquement sur des intrants organiques comme le montrent aussi d’autres observations en France où il existe des zones d’épandage abondant d’engrais organiques qui produisent des effets néfastes sur l’environnement. C’est notamment le cas connu depuis longtemps de la Bretagne où sont utilisés les lisiers et fumiers provenant des élevages de porcs intensifs causant la prolifération sur les côtes d’algues vertes (4) même si des progrès importants ont été réalisés depuis 1970 pour réduire les effluents.
En agriculture biologique comme en agriculture conventionnelle, les risques de rejet d'oxydes nitreux dans l'atmosphère (un gaz à effet de serre 300 fois plus puissant que le dioxyde de carbone) et de lixiviation des nitrates ne doivent pas être sous-estimés. C’est pour cette raison que le cahier des charges de l’agriculture biologique limite l’usage des engrais organiques provenant de l’exploitation (compost, fumiers, engrais verts) ou fabriqués par des sociétés spécialisées, à 170 kg d’azote organique par ha/an (imposée par la réglementation européenne pour toutes les formes de culture) (a) (2).
Une gestion précise de l’azote est un problème bien connu des agriculteurs bio qui, à l’inverse de leurs confrères de l’agriculture conventionnelle, est plus difficile à organiser. En agriculture intégrée, il est bien plus facile de gérer les besoins en azote et de réduire les pertes, un épandage précis d’engrais industriel ne contenant que cet élément étant autorisé.
Étant très solubles dans l’eau et comme ils ne peuvent être fixés par les CAH, les nitrates sont facilement entraînés en profondeur quand ils ne sont pas absorbés par les plantes et ils finissent par se retrouver dans la nappe phréatique. Plus un engrais organique est riche en azote, plus les pertes possibles en nitrates sont réelles. Il faut également tenir compte que la minéralisation des engrais organiques dépend de facteurs souvent incontrôlables (température, humidité...). Une réserve en azote peut donc évoluer plus rapidement que prévu dépassant les besoins des plantes. L’inverse est également vrai par exemple consécutif à une sécheresse imprévue. Un arrosage ne sera pas forcément suffisant si la température est trop basse. Au cours d'une saison de culture, l’on rencontre facilement ce type de problème mis en évidence avec une analyse de laboratoire des nitrates présents dans le sol.
Une fertilisation azotée trop riche a aussi un impact sur les communautés d’ennemis des plantes cultivées. Par exemple, le taux de parasitisme des teignes des crucifères est plus faible quand le sol est moins fertilisé en azote (5).
Les nitrates peuvent également être réduits par des bactéries jusqu’au stade d'azote atmosphérique (6) réduisant ainsi la fertilité du sol. En principe, les pertes en azote devraient être moins importantes quand le sol est bien pourvu en matières organiques et argile indispensables pour former des CAH qui ont la propriété de fixer les ions ammonium. Mais, un sol bien pourvu en matières organiques est également riche en bactéries qui transforment rapidement les ions ammonium en nitrates. C’est pour cette raison qu'un renforcement du sol en CAH n'est pas une solution suffisante pour limiter les pertes d’azote en agriculture biologique. Les CAH ralentissent la perte d’azote, mais ne peuvent l’éviter en cas d'apports excédentaires d’intrants azotés.
Dynamique de prélèvement en azote de la laitue en culture de printemps (mai-juin) et d'automne (septembre-novembre) d'après Raynal (1997-2004).
Dans les périodes de croissance rapide des plantes cultivées, si les réserves en azote ne sont pas suffisantes et si aucun apport extérieur en azote n’est décidé, à moyen terme le sol se retrouve en déficit d’azote assimilable se traduisant par une baisse de rendement des cultures, une perte de qualité et l’apparition de maladies de carence. En culture biologique, cette situation est courante par exemple sur le blé où la faible fertilisation azotée se traduit par une réduction de la densité de la culture et une sensibilisation aux maladies.
Certaines cultures maraichères comme les laitues connaissent un besoin intense en azote durant une période courte de leur cycle végétatif. Il est bien difficile en agriculture biologique de répondre à ce besoin intensif d’azote à partir des engrais organiques de fonds.
On peut bien entendu réduire la carence d’azote par des engrais organiques nerveux (comme la poudre de sang) qui contiennent essentiellement de l’azote, mais leur coût s’il est encore acceptable pour un jardinier amateur, ne l’est plus pour un maraicher.
Les jardiniers amateurs peuvent trouver dans des magasins de jardinerie des engrais organiques riches en Guano, farine de sang, d’os ou de plumes, poils en granulés, des tourteaux de ricin... Ces engrais organiques permettent de constituer une réserve de fonds en azote largement épuisée 6 mois après leur épandage allant de 93 % pour le guano à 66 % pour les farines d’os de viande et de tourteaux de ricin (7). Bien entendu, ces engrais organiques présentent également un risque de pollution de l’environnement qui n’est pas négligeable pour les mêmes raisons évoquées plus haut en grande culture.
Pour les fermes de culture et d’élevage, la gestion du volume d'azote nécessaire est moins problématique et beaucoup moins coûteuse si l’agriculteur dispose de suffisamment de bétail et de surface en prairie. Dans une prairie, l’azote atmosphérique est fixé par des bactéries et des protéobactéries comme l’Azospirillum qui colonisent la rhizosphère des graminées. Les autres éléments (phosphore, potassium, oligoéléments…) que l'on retrouve dans les fumiers proviennent de la décomposition de la roche mère et du recyclage des résidus de culture. Pour ceux qui n'ont pas suffisamment de bétail, une solution consiste à récupérer les liquides riches en ammoniac issu des processus de méthanisation industrielle ou installés dans des fermes. Ces engrais organiques doivent répondre à des normes de sécurité environnementale.
Les fermes de culture et d’élevage comprenant des prairies sont souvent présentées comme la solution d’avenir d’une agriculture durable. Or, en France l'agriculture biologique se développe de plus en plus sans composante d’élevage. En 2011, 66 % des exploitations en agriculture biologique étaient dépourvues d'élevage (8) ce qui les oblige à recourir aux engrais organiques issus de l’agriculture conventionnelle. D’autre part, les réserves de potassium et de phosphore présents dans les sols cultivés proviennent essentiellement des engrais minéraux avant la reconversion des exploitations en agriculture biologique. Des réserves qui s’épuiseront si les pertes ne sont pas compensées par des intrants organiques équilibrés en quantité suffisante, de culture de légumineuses ou l'import d'engrais industriels.
Enfin, les mécanismes de compensation des pertes en sels minéraux dans les fermes de culture et d'élevage sont plus ou moins longs selon la nature du sol, le climat, la saison, avec des pertes au cours de chaque étape. C’est pour cette raison que les prairies permanentes extensives reçoivent en agriculture conventionnelle des engrais minéraux pour augmenter les rendements en fourrage afin d'obtenir une exportation moyenne de 200 kg d’azote par hectare et par an (9) (les prairies semées en graminées et légumineuses reçoivent aussi un apport d’engrais en sortie d’hiver (10)).
Sans cet apport en engrais, ces prairies qui sont souvent des zones à faible potentiel agronomique seraient beaucoup moins rentables. Il faut tenir compte qu’une prairie doit être entretenue, ce qui représente un coût en temps et moyens financiers pour l’agriculteur éleveur (b). Enfin, les agriculteurs bio ne gèrent pas tous une ferme mixte, ou n’ont pas suffisamment d’animaux et de surface en prairies pour produire tout leur besoin en fumier. Ils font alors appel aux autres agriculteurs non bio pour compléter leurs besoins en fumier ; un fumier qui n’est donc pas bio ; une pratique qui est très courante en agriculture bio.
Quand l’agriculteur bio dispose d’une quantité de fumier suffisante, il se retrouve devant un autre problème lié à la nature même des fumiers connus pour être très irréguliers en azote, potasse et phosphate, le rapport entre ces différents éléments variant selon la source (voir le tableau ci-dessous) et après compostage. En forçant sur la quantité de fumier pour avoir plus d’éléments manquants, l’agriculteur se retrouve souvent avec un apport excessif des autres éléments créant un déséquilibre dans la fertilisation. Il existe une solution pour faire face à ce problème : la culture de légumineuse, mais cette dernière a des conséquences sur la rentabilité de la ferme.
La culture de légumineuses est la seule source d’azote économiquement rentable qui ne produit pas un excès de potasse et de phosphates. Il faut suffisamment de légumineuses dans la rotation des cultures pour que la production d’azote compense les pertes. La culture de ces légumineuses entraîne une absence de rentabilité pour les cultures exportables. Pendant que l’agriculteur bio ne peut produire de récolte exploitable de son champ mobilisé par la culture de légumineuses, en agriculture conventionnelle où l’on corrige les pertes d’azote par un engrais chimique, la même surface est utilisée pour produire une culture exportable et vendable. Finalement, l'on se retrouve avec une perte conséquente de rendement en agriculture bio.
Bien entendu, le jardinier amateur se retrouve devant les mêmes difficultés s’il décide pour des raisons idéologiques de ne pas utiliser d’engrais synthétique, sauf que par rapport à la surface de culture qu’il exploite, les solutions disponibles en jardinerie comme le sang séché sont plus à la portée de sa bourse. Un jardinier amateur peut se permettre d'être un fervent partisan du tout naturel en investissant dans des solutions coûteuses, mais encore à sa portée, qu’un maraîcher professionnel ne pourra suivre pour des raisons financières. Ce qui est possible à petite échelle ne l’est pas forcément à grande échelle ; une situation souvent rencontrée en agriculture biologique jamais précisée dans les émissions de TV sur le jardinage qui font la part belle de l’agriculture biologique.
Source : extrait d’un tableau figurant dans Web agri – intégrer les valeurs fertilisantes des fumiers et lisiers accessible ici.
a) Sur les cultures, en zone vulnérable et non vulnérable :
La quantité moyenne d'azote organique applicable par an et par hectare de terre arable est au maximum de 115 kgL'apport annuel d'azote total (organique + minéral) par hectare est au maximum de 250 kgLa quantité moyenne d'azote organique provenant de l'exploitation ne peut dépasser 170 kg par ha/an
b) Émoussage (arrachage des mousses), ébousage (étalement des bouses), chaulage (apport de calcaire), étaupinage (étalement des monticules de taupes), sursemis (élimination des zones nues), fauchage des refus (plantes non consommées) … sont les opérations d’entretien les plus fréquentes. Sans un bon entretien, les prairies finissent par se dégrader se caractérisant par une transformation de la flore, l’apparition de maladies touchant les graminées fourragères avec pertes de rendements, une croissance excessive de plantes indésirables (chardons, orties, renoncules…) ou peu productives bouchant les vides provoqués par des prédateurs…
Méfiez-vous des témoignages individuels présents sur des sites internet ou dans des livres et articles de presse prétendant à qui veut bien l’entendre que les rendements de l’agriculture biologique seraient comparables à ceux de l’agriculture conventionnelle.
Il y a bien quelques études scientifiques en faveur de l’agriculture biologique, mais elles sont souvent contestables en raison des biais qu’elles contiennent, surtout quand elles sont financées par le lobby bio. Voici quelques exemples de biais :
Ratio du rendement agriculture biologique/agriculture conventionnelle dans l'hexagone pour quelques productions végétales à partir de différentes sources nationales (11)
a) Ratios de rendement AB/AC calculés en rapportant les rendements moyens en AB fournis par FranceAgriMer aux rendements moyens en AC établis par Agreste, années 2011 et 2012
b) Ratios évalués par les experts de l’étude Ecophyto R&D sur la base de la littérature complétée par leur expertise propre, sans référence une année précise ; Source : Butault et al. (2010)
•
Les surfaces mobilisées en agriculture biologique pour la culture d’engrais verts ne sont pas comptabilisées dans les calculs de rentabilité. Pour cette raison, l'écart de rendement réel entre les deux systèmes de culture se situe le plus souvent autour de 50% (voir tableau ci-dessous des ratios du rendement agriculture biologique/agriculture conventionnelle).
•
La surface de terre qu’il convient d’utiliser dans les deux systèmes d’agriculture pour la même quantité de produits n’est pas précisée.
•
Il n’y a pas d’évaluation de l’état initial des sols et des productions avant la mutation vers l’agriculture biologique.
En production céréalière, les contrôles effectués par des Chambres d’agriculture montrent des niveaux de rendement allant du simple au double. Dans une étude comparant le niveau de production laitière et la qualité de lait, effectuée par l’institut technique de l’agriculture biologique et l’institut de l’élevage, montre que contrairement aux idées reçues, le lait conventionnel est plus riche que le bio. Pour la production de volaille de chair, si l'on croise les écarts de performance zootechniques et de rendement des céréales bio, il faut 3 à 4 fois plus de surface pour produire un poulet bio par rapport au conventionnel (12).
1) Chromec et Magdoff 1984
2) Agri’eau : Quelle norme d’épandage dois-je respecter ?
3) A comprehensive quantification of global nitrous oxide sources and sinks
4) Libération ; 18 8 1998 :
5) Sarfraz et al., 2009
6) Ces bactéries voraces qui mangent le nitrate ; INRS, 15 mai 2012
7) Leclerc B. 1989
8) La bio vit-elle sur les réserves chimiques des Trente Glorieuses ? Pleinchamp
9) Une étude pour mieux comprendre la production de nos prairies ; INRA
10) COMIFER – Calcul de la fertilisation azotée ; guide méthodologique pour l’établissement des prescriptions locales -Edition 2013.
11) L’agriculture extensive bénéfique pour la biodiversité ? (2ème partie) ; Philippe Stoop - 21.09.2020 European Scientist
12) Bio ou conventionnel : un comparatif des performances zootechniques