Initiation aux méthodes intégrées au jardin potager
Chapitre : Fertilisation
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⇒ Le raisonnement de la fertilisation au jardin potager.
Les exploitations maraîchères sont connues pour leurs systèmes agricoles particulièrement intensifs. Certaines cultures potagères telles que les radis, salades, navets, betteraves rouges et d’autres encore se succèdent sur la même parcelle ce qui entraîne des exportations importantes de sels minéraux qu’il faut déterminer et corriger si on ne veut pas se retrouver avec des carences. Tous les éléments majeurs sont concernés ainsi que les oligoéléments dont les réserves peuvent être rapidement épuisées.
Un exemple d’une succession de plantes potagères sur une parcelle :
- Début automne : plantation ail d’hiver.
- Début printemps : récolte ail d’hiver –fumure de fonds et semis navets.
- Début été : récolte des navets et semis des radis avec échelonnement des semis pour obtenir des récoltes toutes les 3 semaines.
- Début automne : semis de mâche avec récolte durant l’hiver et début automne.
Les engrais complets industriels visent surtout à suppléer aux besoins en azote, phosphore et potassium. Certains engrais industriels contiennent également du bore du magnésium, voire quelques autres éléments. Or, beaucoup de plantes potagères sont sensibles à une ou plusieurs carences en manganèse, molybdène, fer, cuivre, et d’autres encore. Il est reconnu qu’une bonne couverture d’engrais organique est capable d’apporter tous ces éléments. Mais pas n’importe quel engrais organique. Les matériaux apportés au compostage doivent contenir tous les éléments dont les plantes ont besoin. Plus un sol de culture est amendé en compost convenablement préparé, plus on évite une carence en oligo-éléments.
Les besoins globaux de chaque culture légumière ont été définis dans quelques études d’organismes tels que le CTIFL pour les éléments primordiaux, notamment l’azote, le phosphore, le potassium. Ces études montrent de fortes disparités entre chaque culture légumière. Certaines plantes telles que l’aubergine, la courgette, l’épinard, le poireau, la pomme de terre, la tomate sont de gros consommateurs d’éléments nutritifs. Pour un type de légume, il existe aussi des disparités importantes entre certaines variétés plus ou moins modulées par la saison culturale, la nature du sol...
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Les légumes racines (carottes, navets, céleris-raves, radis, pommes de terre….) sont particulièrement exigeant en potassium. En ce qui concerne la pomme de terre, celle-ci consomme 3 fois plus de potassium que d’azote.
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Les légumes feuilles (salades, bettes, choux, épinard…) apprécient les engrais riches en azote apporté plusieurs fois durant leur cycle cultural.
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Les légumes-fruits (tomates, courgettes…) demandent des engrais plutôt équilibrés tout au long de leur cycle cultural.
Par exemple, les besoins en azote du concombre varient de 330 à 500 kg/ha. Pour l’artichaut cultivé en région sud, les besoins en azote varient de 140 à 400 kg/ha, pour l’aubergine de 150 à 210 kg/ha et pour le poireau de 160 à 255 kg/ha… (1).
Les cultivateurs disposent de nos jours d’outils et de méthodes d’aide à la décision permettant d’évaluer l’état de la nutrition des plantes en cours de culture. Pour citer un exemple et pour les céréales, certaines méthodes font appel à l’analyse des nitrates à la base des tiges, de la teneur en chlorophylle des feuilles… Ces outils et méthodes ne sont pas à la portée du jardinier amateur.
Heureusement, nous savons maintenant que plus un sol de culture est riche en matières organiques, plus on diminue les risques de carences, surtout pour les oligoéléments. Pour un jardinier amateur qui en général dispose d’une surface réduite, ces carences peuvent être évitées en apportant au moins 100 kg/are de compost dont l’acquisition et/ou la production par le jardinier sont encore acceptables. Toutefois, la forme assimilable de l’azote disparaît rapidement absorbé par les plantes ou par lixiviation ce qui nécessite des contrôles fréquents accompagnés si nécessaire de corrections pour éviter une carence en cet élément (voir le chapitre : la problématique de l’assimilation de l’azote en agriculture biologique).
En agriculture biologique, les engrais synthétiques étant interdits, l'agriculteur apporte seulement des engrais organiques en espérant satisfaire tous les besoins des plantes en sels minéraux, ce qui est une mission impossible. C’est surtout la gestion de l’azote qui pose problème. Les nitrates sont progressivement relâchés, quels que soient les besoins des plantes, y compris après les récoltes. Quand la demande en azote est intense, l’engrais organique n’est pas capable d’y répondre, et quand cette demande en azote s’effondre, les nitrates provenant des engrais organiques sont perdus. Comme les nitrates sont très solubles dans l'eau, les pertes de nitrates sont inévitables. La moindre pluie entraînera ces nitrates vers la nappe phréatique. Avec un engrais organique de fond utilisé comme la seule source d’azote, en fonction du volume apporté, soit on se retrouve avec une production excédentaire de nitrates avec un risque de toxicité quand les plantes potagères ne sont pas dans la phase d’assimilation maximale d’azote, soit une carence en azote se manifeste quand les plantes en ont le plus besoin.
Les micro-organismes ont un rôle essentiel dans la fertilité d’un sol de culture. Il y a plusieurs milliards de bactéries et plusieurs millions de champignons dans un gramme de sol. Cette population de micro-organismes renferme entre 10000 à 100000 (2) d’espèces différentes dont beaucoup ont des caractéristiques encore mal connues. Les bactéries et les champignons sont les seuls organismes capables de transformer la matière organique et matière minérale assimilable par les plantes. Des bactéries sont aussi responsables de la fixation de l'azote atmosphérique. Sans micro-organisme, la vie sur terre serait impossible. La diversité et la structure des communautés bactériennes et les réseaux d’interactions biotiques entre taxons bactériens sont influencés par des facteurs naturels (surtout le type de sol) et entropiques. D’une manière générale, il y a moins de bactéries dans les sols cultivés quand les apports organiques ne sont pas suffisants.
Reconstruire et entretenir la flore microbienne est donc fondamental. À cet effet, les engrais organiques sont indispensables, mais aussi l’usage de certaines pratiques agricoles comme les couvertures végétales, la réduction des pesticides synthétiques ou bio quand ils ont un impact négatif sur la biodiversité du sol, l’apport d’amendements visant à améliorer la structure et la texture du sol ainsi que le pH...
La composition, la quantité et la manière dont l’engrais organique est apporté doivent répondre à trois objectifs :
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Entretenir la biodiversité du sol et profiter des services écosystémiques qu’elle offre.
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Nourrir les plantes.
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Former des CAH qui fixeront les nutriments non absorbés par les plantes.
En agriculture intégrée, en dehors du potassium, du phosphore et des autres éléments, un engrais organique vise globalement à répondre au besoin minimum d’azote des cultures potagères, le reste étant apporté au fur et à mesure de la montée des besoins en azote durant le cycle cultural. On ne cherche pas à effectuer une réserve en azote uniquement avec des engrais organiques, car ces derniers présentent un défaut majeur ; ils sont constitués de divers composés azotés dont la minéralisation est plus ou moins longue et très difficilement prévisible.
L’apport d’engrais organique est souvent complété par un engrais complet N.P.K. pour optimiser un fonds de fertilité notamment en potassium et phosphore (sauf si la réserve de ces deux éléments dans le sol est suffisante démontrée par une analyse de laboratoire). Plus on apporte un compost riche en potassium phosphore, moins il est nécessaire d’apporter des engrais synthétiques N.P.K. de fonds. Ainsi, quand le sol est bien pourvu en compost, sauf exception, les corrections au cours du cycle cultural concernent essentiellement l’azote.
Un apport régulé d’azote organique tout au long du cycle cultural est possible à partir de lisiers de ferme, et surtout de produits riches en ammoniac provenant des processus de méthanisation de déchets organiques. Si ces produits sont encore difficiles à trouver pour le jardinier amateur, ce dernier peut se rabattre sur les préparations d’orties ou d’herbe macérées qui sont riches en nitrates.
Il existe dans le commerce des engrais organiques coup de fouet riche en azote contenant du sang desséché, du guano marin, de la farine de plumes et de la poudre d'os (par exemple : N.P.K. 11-4-3) homologué en agriculture biologique. Ils peuvent rendre d’excellents services surtout en début de plantation. Toutefois, comme ils contiennent aussi du phosphore et du potassium, leur utilisation pour réduire une carence spécifique en azote n’est pas toujours adéquate. Il faut éviter d’utiliser ce type d’engrais si le sol est trop riche en phosphore et/ou potassium démontré par une analyse de laboratoire. Or, les sols cultivés selon les méthodes de l’agriculture biologique sont souvent déséquilibrés en potassium et phosphore. Bien des jardiniers amateurs sont surpris quand ils découvrent par une analyse de laboratoire que leur sol est trop riche en certains éléments majeurs comme le phosphore (souvent fixé sous une forme non assimilable par les plantes), ou un autre élément dont l’excès provoque une carence induite.
Les engrais synthétiques font souvent l’objet d’aversion sous prétexte de porter préjudice à l’environnement (pollution des sols, des eaux souterraines et des rivières, volatilisation de l’ammoniac...). Ces effets négatifs sont en réalité la conséquence de mauvaises utilisations de ces produits, plutôt que de leurs propriétés intrinsèques (notamment l’absence d’une stratégie précisant les apports par rapport à l’évolution des besoins).
Il est également reproché à ces engrais d’être trop rapides. Pour les engrais de moyenne durée, le processus de nitrification par les bactéries à partir de l’ammonium dure effectivement entre une et plusieurs semaines en fonction de la température du sol et de son humidité. Mais, ce processus à partir de l’ammonium existe aussi pour les engrais organiques. Comme pour les engrais organiques, les engrais synthétiques doivent être utilisés selon un « code de bonne conduite agricole », une expression classique souvent rencontrée dans les textes qui traitent de l’agriculture. Les engrais synthétiques étant effectivement plus rapides que les engrais organiques, il suffit de fractionner les apports selon les besoins des plantes tout au long de leur cycle cultural pour éviter les pertes de nitrate par infiltration. Rien de compliqué en définitive pour le jardinier amateur.
Quand un sol est bien pourvu en CAH, si les plantes n’absorbent pas la totalité des sels minéraux non azotés apportés par les engrais, une grande partie du surplus est fixé par ces CAH. Les racines de plantes puisent dans ces réserves au fur et à mesure des besoins. Les pertes sont donc très réduites sauf pour le nitrate qui n'est pas fixé par les CAH. C’est aussi pour cette raison qu’il ne faut pas forcer un apport d'engrais azoté comme engrais de fonds.
Contrairement à l’idée répandue dans certaines sphères de l’agroécologie non scientifique selon laquelle les sols sont épuisés par les rendements élevés apportés par les engrais synthétiques, c’est l’inverse qui est constaté. L’augmentation des rendements a pour effet d’améliorer en retour le potentiel de fertilité des sols, tout simplement parce qu’ils produisent plus de résidus organiques de surface et de litière souterraine qui seront recyclés. On constate un épuisement des sols (notamment en carbone) quand les résidus organiques ne sont plus recyclés. C’est notamment le cas quand l’agriculteur vend ses résidus de culture (notamment les pailles) pour des raisons financières à d’autres exploitants agricoles ou à des éleveurs.
Les plantes potagères connaissent des besoins intenses et instantanés en éléments nutritifs au cours de certaines périodes de leur cycle cultural. Pour citer un exemple, la tomate a besoin de plus de potassium au moment de la floraison et la mise à fruit. D’autres cultures sont sensibles à un apport de phosphore comme les légumes-graines, d’autres encore nécessitent plus d’azote comme les légumes feuilles. Il est bien connu que si l'on désire favoriser l’enracinement des jeunes végétaux, il faut que le sol soit riche en phosphore assimilable.
La conduite de la fertilisation pour chaque culture potagère a pour objectif d’éviter les carences globales et instantanées qui pourraient apparaître au cours de leur nutrition. Les engrais chimiques, en particulier les engrais foliaires, ont l’avantage d’offrir des compositions en sels minéraux très précises pour répondre aux besoins variés des plantes et corriger des carences qui pourraient apparaître durant leur période de croissance. C’est plus difficile de répondre avec précision à ces besoins avec les engrais organiques sauf pour l’azote si l'on utilise des solutions comme les poudres de sang séché (NPK = 14.0.0). Le guano utilisé en agriculture biologique comme coup de fouet apporte aussi de l’azote, mais il est très riche en potasse et phosphore et son emploi peut engendrer des carences induites. En outre, certains légumes comme le concombre ne tolèrent pas un engrais trop riche en azote ammoniacal. La forme d’azote apportée au cours de la croissance de certaines plantes a donc aussi une grande importance dont on tient compte en agriculture intégrée.
Constituées d’excréments d’oiseaux de mer, les réserves de guano sont assez limitées et ne peuvent satisfaire tous les besoins si tous les agriculteurs décidaient de l’utiliser. Quant aux réserves disponibles de sang séché, la situation n’est guère plus enviable. Il est évident que toute l’agriculture mondiale ne peut se satisfaire de sang séché pour répondre aux besoins instantanés des plantes en azote. Pour le sang séché, la dose d’épandage conseillée est environ 75 gr par m². Une ferme de 50 ha nécessiterait 3750 kg de sang séché qui, au prix du marché le plus bas en janvier 2017 (soit environ 3 € le kg), reviendrait à 11250 €. À titre de comparaison, 50 ha de maïs doux nécessitent environ I tonne d’urée à 46 %, soit un coût approximatif TTC de : 740 € (selon tarif de 37 € le sac de 50 kg en sept 2016 d’une COP agricole).
La nutrition azotée des plantes est l’un des plus importants facteurs de production. En cas de carence d’azote, les pertes peuvent aller jusqu’à 90 % de la production espérée. En principe, le besoin en azote d’une culture est défini comme la quantité d’azote à apporter par rapport à celle légèrement plus réduite qui sera réellement absorbée par cette culture, et cela de manière à atteindre un objectif de production optimale sans facteur limitant. Pour un jardinier amateur, il n’est pas évident d’estimer ces deux quantités d’azote, mais on a quand même une bonne idée de la quantité d’azote à apporter suite à une mesure de nitrate du sol à l’aide de bandelettes tests de laboratoire.
Comme pour les autres éléments nutritifs, les besoins en azote varient tout au long du cycle cultural. La détermination de ces besoins permet de situer les stades à fortes mobilisations. Par exemple au printemps, la laitue connaît une forte absorption d’azote durant environ 40 jours après la plantation puis celle-ci diminue jusqu’à la récolte. Cette demande en azote est inférieure en automne (1). Du semi au pic maximal, la demande de la laitue en azote passe de 0 à plus de 4 kg/ha au printemps et de 0 à moins de 3 kg/ha à l’automne. Pour la carotte, la demande en azote est maximale en culture d’été 70 jours après le semi (ce qui correspond le plus souvent au mois d’août pour les cultures en pleine terre) puis, diminue très légèrement. Sur cette période, la demande en azote de la carotte passe de 0,5 kg/ha à plus de 3 kg/ha.
Dès que la température descend au-dessous de 10 à 12°C, l’activité de la microflore du sol diminue et la minéralisation se ralentit fortement. D’une façon générale, il faut alors utiliser des engrais ayant une proportion en azote assez basse. Dans le cas contraire, il y a risque de toxicité, les plantes ayant moins besoin d’azote. Quand la température remonte, les plantes demandent plus d’azote et on peut alors épandre un engrais synthétique plus riche en azote pour soutenir la croissance.
Quant au potassium, pour les cultures sensibles à une déficience en cet élément et lorsque le sol est suffisamment pourvu en azote et phosphore, l’apport du potassium est réalisé avant l’implantation de la culture, surtout en automne-hiver pour les cultures pérennes. Le potassium est rependu seul ou en même temps que le phosphore sous la forme d’un engrais binaire si le phosphore est également déficient. Après plantation des cultures, le potassium peut être apporté sous la forme de sulfate de potassium entre les rangs par l'usage d'un croc (outil encore dénommé « cultivateur ») ou d’un râteau. On trouve du sulfate de potassium dans certains magasins de jardinerie ou sur internet.
Il est recommandé de fractionner la fumure potassique par exemple pour les légumineuses qui succèdent à une autre culture comme les ails d’hiver à raison de 2/3 à l’automne et 1/3 après la récolte de l’ail.
Des exemples de fertilisation sont cités dans l’article suivant : Exemple de fertilisation raisonnée pour quelques plantes potagères.
1) Ctifl - 31-7-2012 ; Elément de décision pour une fertilisation raisonnée en azote sur les cultures fruitières et légumières
2) Ranjard et all 2010 – signalé dans l’Atlas français des bactéries du sol.