Initiation aux méthodes intégrées au jardin potager
Chapitre : Le sol de culture
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⇒ Humus ; formation et évolution
Les humus proviennent de la décomposition de matières organiques mortes communément appelées Matières organiques fraîches (MOF) issues des forêts ou des activités agricoles. Ces matières organiques sont utilisées par une variété d'organismes du sol comme source d'énergie et de matériaux pour la construction de leurs structures cellulaires et leur reproduction. Au cours de ce processus, divers composés organiques tels que les amidons, les sucres, les protéines, la cellulose, les lignines et les résines, sont transformés par un processu connus sous le nom de minéralisation pour former des corps plus simples assimilables par les plantes ou pour entrer dans d’autres processus débouchant sur la formation d’humus.
Les études effectuées depuis une cinquantaine d’années sur les humus, ont mis en évidence des propriétés physicochimiques particulièrement intéressantes pour l’agriculture : accroissement de la capacité de rétention de l’eau, effet favorable sur la structure des sols, stimulation de l’activité microbienne, amélioration de l’exploration racinaire, absorption plus facile des éléments fertilisants, libération d’azote nitrique… Mais les humus ne sont pas tous propices à l’agriculture. Certains sont trop acides ou trop riche en carbone. Seuls les humus type mull convenablement préparés à l’aide de composts ou par des techniques de culture avec préservation des sols, sont considérés comme indispensables pour le maintien ou la reconstruction de la fertilité.
Comme son nom l’indique, la MOV comprend toutes les formes de matières organiques vivantes d’origine animale ou végétale y compris les racines des plantes, la microflore, les vers de terre, le mycélium des champignons… La MOV ne représente que 1 à 3 % de la matière organique totale du sol.
La MOF désigne toute matière organique morte d’origine végétale et animale comprenant des matériaux en décomposition rapide. Les MOF regroupent tous les éléments plus ou moins fractionnés que l’on peut mettre facilement en évidence. Comme leur durée de vie est rapide, les MOF ne représentent qu’une faible partie de la matière organique totale du sol (environ 20 %).
La MOS est issue des substances précédentes et elle est communément appelée humus. Les humus sont constitués de molécules longues et complexes souvent très liées à de la matière minérale. Les humus ne sont pas à proprement parler des résidus ultimes de décomposition. L’humification se caractérise par la formation de molécules de plus en plus grosses à partir des résidus plus simples provenant de la décomposition des MOF. La microflore du sol n’est pas seulement responsable de cette humification. Interviennent également des processus chimiques et physiques (polycondensations, polymérisations, humification par héritage caractérisé par une décomposition réduite de la lignine...). Les humus présentent différentes structures très fines selon la composition initiale des végétaux sans pour autant reconnaître leur origine à l’œil nu. Les humus sont des substances colloïdales insolubles dans l’eau ayant la consistance d’une matière souple, aérée, de couleur sombre et dégageant une odeur caractéristique. Comme leur durée de vie peut atteindre plusieurs dizaines d'années, voire plusieurs centaines d’années dans des conditions spécifiques, les humus représentent environ 80 % de la matière organique des sols.
Dans une forêt, les pertes d’humus sont compensées par l’apport de nouveaux éléments organiques provenant des végétaux (feuilles, branches mortes) et des matières fécales produites par les animaux. Ces apports forment une première couche de matières organiques à différents stades de décomposition qu’on appelle la litière de surface (horizon O du référentiel pédologique). Elle constitue une source d’énergie importante pour tous les auxiliaires utiles ; insectes, vers de terre, champignons et micro-organismes qui participent à sa décomposition. L’épaisseur de cette litière est plus ou moins importante selon la nature et la densité de la forêt et du climat local.
En pédologie, les horizons désignent des couches de structures différentes rencontrées dans une coupe de sol dénommé solum. Le profil est la séquence d’informations situées de haut en bas d’un horizon désigné par une lettre. Les horizons de référence figurent dans une liste établie par l’Association française pour l’étude du sol (AFES). Ces horizons sont classés par groupes et sous-groupes en rapport avec l’évolution de la pédogenèse (l’histoire du sol) et la proportion de certains constituants. Les horizons qui concernent surtout l’agriculture sont les suivantes :
Horizon O : Par rapport à la surface, cet horizon décrit la première couche correspondant à différents degrés de décomposition de la matière organique. L’horizon O coïncide à la litière de surface que l’on rencontre notamment dans les forêts, constituée essentiellement de matières organiques plus ou moins organisées (branches, feuilles mortes, excréments d’animaux…).
Horizon A : également appelé « terre arable », cet horizon est situé en dessous de l’horizon O. Il est constitué d’un mélange de matières minérales et de matières organiques bien décomposées dont une grande partie est transformée en humus.
Horizon L : correspond à la zone labourée dans laquelle ont été ajoutés des éléments allochtones modifiant ses caractéristiques initiales (engrais, amendements…).
Horizon S : De couleur plus pâle que l’horizon A, contient en plus faibles quantités des éléments organiques et minéraux provenant des horizons A ou L, dont des sels minéraux assimilables par les plantes. Cet horizon s’est formé par l’altération de minéraux primaires libérant notamment des argiles. C’est à partir de cette couche sous-jacente plus ou moins épaisse que les racines profondes de certaines plantes remontent des substances nutritives provenant de l’altération de la roche mère (désignée par d’autres lettres et qui peut être dure ou meuble ou composé d’éboulis ou autres).
Dans un sol régulièrement labouré, l’horizon L présente une coloration homogène qui tranche avec la couche sous-jacente. La partie supérieure de cette couche sous-jacente est appelée semelle de labour.
Le renouvellement permanent des racines fines produit une litière souterraine responsable de 92 % de la biomasse du sous-sol. L’épaisseur de cette litière est souvent très importante à proximité des arbres. Il est facile de s’en rendre compte dans les jardins publics en observant la surface du sol en dessous des arbres en saison humide. La surface du sol est souvent recouverte de petits monticules de terre dénommés turricules provenant de l’activité des vers de terre qui se nourrissent de ces litières organiques naturelles.
Dans un champ ou dans un potager, la litière de surface est souvent peu importante, voire absente. L’agriculteur doit alors apporter des résidus de culture broyés ou compostés ou sous forme de fumiers, pour tenter de maintenir la réserve d’humus du sol. Ces résidus de surface représentent souvent 50% et quelquefois plus de la matière organique des sols cultivées. En région PACA où l’on cultive beaucoup de blé dur, la paille riche en carbone est souvent broyée avant d’être enfouie afin de reconstituer les réserves en humus.
La litière souterraine issue des racines des cultures participe aussi au maintien du pool humifère. Cette litière souterraine est souvent sous-estimée parce qu’elle ne se voit pas. Or, les plantes cultivées fixent énormément de carbone surtout quand leur cycle cultural est porté à l’optimum par un apport d’engrais et une irrigation convenable. Une partie du carbone est exportée par les récoltes. L’autre partie se retrouve dans les résidus de surface (comme les pailles) et dans les racines.
Jardin public d’Oraison ; Turricules de vers laboureurs
graminée avec une partie de sa racine
Les racines des plantes sont habituellement couvertes de poils racinaires (radicelles) invisibles à l'œil nu qui forment une grande surface favorisant l’assimilation de l'eau et des nutriments minéraux du sol. Ces poils racinaires sont fragiles et disparaissent rapidement.
Un seul exemplaire de seigle d'hiver peut engendrer 620 kilomètres de racine dans seulement 0,5 mètre cube de sol (4). Ces poils racinaires sont renouvelés en permanence pour compenser les pertes. Il n’est pas facile d'estimer la biomasse des racines végétales parce que le volume des radicelles est difficile à échantillonner. Néanmoins, en règle générale, les plantes allouent plus de biomasse aux racines si le facteur limitant pour la croissance provient du sous-sol (par exemple l'eau), alors qu'elles consacrent plus de biomasse aux parties aériennes si le facteur limitant est au-dessus du sol (par exemple, réduction de la lumière provoquée par des obstacles tels que des végétaux plus grands).
Dans les zones tempérées, la décomposition des racines et des radicelles contribue de 30 à 50 % à l’apport de matière organique dans une forêt, le reste provient essentiellement de la chute des feuilles (4). Pour les grandes cultures, voici quelques exemples en kg/are d’humus stable provenant des racines :
* Pour la définition du K1 voir plus bas
Ces chiffres montrent que 1/5 à 1/8 de la matière sèche des racines est transformé en humus.
Quantité d’humus stable fournie par les résidus de récolte de quelques légumes, en prenant comme K1 moyen 13,5* (à partir de données extraites de A ; Anstett « niveau humique des sols » 1962) ; tableau publié dans « la fertilisation des cultures légumières » du CTIFL – indices ramenés pour une surface de 100 m² (1 are).
** Ce chiffre est le résultat de la multiplication de la quantité moyenne de matière sèche en kg/are par K1, c’est-à-dire 13,5 dans le cas présent ; exemple : carotte 32 x 13,5 = 4,32
Les indices figurant dans ce tableau montrent que les résidus de cultures maraichères produisent peu d’humus stable qu’il faut donc compléter par d’autres apports quand on cherche à corriger les pertes annuelles d’humus (pour le calcul des pertes annuels d’une surface d’un are, voir à cet endroit).
Désigne un humus peu acide rencontré dans des forêts contenant de nombreux feuillus. Beaucoup de vers de terre participent à l’activité biologique. La litière de surface est décomposée au bout d’une année. Cet humus est caractérisé par sa richesse en azote (C/N = 10 à 15). La structure du sol riche en complexes argilo-humiques présente une structure granuleuse. Une variante, le mull carbonaté qui prend naissance sur des sols calcaires, présente des caractéristiques biologiques très intéressantes que l’on peut reproduire en agriculture sur des sols identiques par l’apport d’amendements organiques ou par des techniques culturales de conservation des sols tel que le semi-direct. L‘humus est fortement lié à l’argile par des ponts calciques produisant des structures fortement floculées. Les rendzines sont des humus riches en calcaire magnésium et fer de couleur noir en zone forestière, rougeâtre si le fer est très présent. Dans les zones de montagne avec une végétation riche en feuillus, le climat humide et froid favorise l’accumulation d’humus pour former des sols humo-calcaires.
C'est un humus qui prend naissance sur un sol plus pauvre se caractérisant par une litière épaisse abritant une faune et une flore moins diversifiées. La litière de surface comprend souvent un mélange de feuilles et d’aiguilles où prédominent des filaments de champignons. La population de bactéries est moins nombreuse. La couleur du moder est très sombre. Son pH est acide (< 5) et le rapport C/N varie de 15 à 25. Les rankers sont des humus type moder pauvre en azote qui peuvent évoluer avec le temps par fixation d’ions de calcium, de potassium, d’hydroxyde de fer, d’aluminium provenant de la roche-mère pour devenir de moins en moins acide.
C'est un humus qui se rencontre sur des sols siliceux où poussent beaucoup de résineux ou de la bruyère évoluant dans des milieux difficiles (haute montagne, zones rocheuses en bordure de certaines côtes maritimes, sol sableux, zones boréales…). Les sols sont très acides avec une faible activité biologique. La litière de surface se décompose très lentement. Le pH peut descendre jusqu’à 3,5 et le rapport C/N est supérieur à 20. En raison de leur forte acidité, ce type d’humus dure très longtemps et peut s’accumuler et évoluer dans certaines régions pour former des couches d’humus infertile.
Les humus de prairie et des zones cultivées sont liés à l’activité humaine. Par rapport aux zones cultivées, les prairies sont souvent plus riches en humus. La qualité des humus agricoles dépend de plusieurs facteurs qui ne sont pas tous anthropiques par exemple le climat. La nature des cultures, le travail du sol, les intrants organiques sont des facteurs qui modifient plus ou moins la teneur et les qualités de cet humus. Un mauvais entretien du sol conduit à une réduction de l’humus alors que de bonnes pratiques agricoles ont un effet inverse. Il existe des humus très particuliers et très anciens liés aux activités humaines comme les terres noires du Brésil (terra preta) de fertilité exceptionnelle et qui sont constituées d’une concentration élevée de charbon de bois, de matières organiques et de nutriments mélangés à des tessons de poterie.
Le mécanisme de formation de l’humus agricole a même été constaté dans des zones désertiques mises en culture irriguée notamment au Maroc et en Algérie. Les micro-organismes de la rhizosphère alimentée en carbone par les cultures successives (par ex pommes de terre puis blé), participent à la formation de cet humus agricole qui s’enrichit d’année en année.
L’humus contient des acides organiques complexes notamment des acides fulviques (faible poids moléculaire, soluble dans les réactions acides ou basiques), humiques (poids moléculaire supérieur, insolubles dans les acides et alcools), et de l’humine (substance à poids moléculaire élevé extrêmement stable constituée de produits variés liés entre eux, insolubles dans tous les solvants). L’humine représente 50 à 70 % de l’humus.
Les acides fulviques sont connus pour dissocier la roche mère contribuant ainsi à augmenter les ressources en minéraux utiles pour les plantes. Ces acides organiques ont aussi l’avantage d’augmenter la disponibilité du phosphore.
Quant aux acides humiques, en raison de leurs structures planes reliées entre elles, ils améliorent la rétention d’eau dans le sol (environ 16 fois leur propre poids). Comme les acides fulviques, les acides humiques peuvent former des composés avec des ions métalliques (chéluviation) en particulier le fer et le cuivre, ou avec d’autres ions pour former des réserves alimentaires pour les plantes. De plus, les acides humiques jouent un rôle important dans la dégradation des pesticides et leurs métabolites présents dans le sol.
La minéralisation de l’humus est pour l’essentiel sous la dépendance de la biomasse microbienne du sol. L’aération, la température et l’humidité du sol sont des facteurs primordiaux intervenant dans la minéralisation de l’humus. Par rapport aux engrais organiques fertilisants, la minéralisation de l’humus est plus lente et contribue faiblement à l‘enrichissement du sol de culture en sels minéraux. Cet apport est le plus souvent nul pour les humus de longue durée.
L’humus agricole, comme tous les autres humus, n’est pas éternel. Il est progressivement minéralisé par les micro-organismes (avec production de sels minéraux et de gaz comme le CO₂). Les pertes d’humus varient de 1 à 5 % par an (1). Le pH du sol, la profondeur du labour, les précipitations, le climat sont des facteurs qui interviennent plus ou moins dans la perte d’humus. Les sols chauds humides et aérés présentent des taux élevés de perte d’humus. Par contre, les sols très secs et très chauds en perdent moins. Les zones de montagne sont aussi connues pour leur perte très faible en humus probablement en raison des périodes de froid beaucoup plus longues que dans les plaines et vallées. D’une manière générale, un sol argileux labouré peut perdre 2 % de sa matière organique par an alors qu'un sol limoneux sableux peut en perdre 4 % (2). Sans un apport constant de matières organiques fraîches ou de composts, l’humus finit par disparaître.
Quand la matière organique contient des débris végétaux riches en cellulose et lignine, leur décomposition très lente participe peu à l’augmentation de l’activité biologique du sol. Plus la granulométrie de la Matière organique est importante, plus l’intégration du carbone dans le pool humifère sera longue. Les écorces d’arbres, les morceaux de branche d’arbre broyés mettront plus d’une année à intégrer le pool humifère. Par contre le rendement en humus stable est plus élevé que les matières organiques à décomposition rapide.
Préserver le capital d’humus des sols cultivés est indispensable d’autant que sa reconstitution peut-être très longue. Dans un sol de grande culture céréalière contenant 2 % de matières organiques, cette quantité d’humus présent dans une couche de terre végétale de 20 à 25 cm de profondeur, représente le produit de la transformation des pailles provenant de cent ans de culture de céréales (3).
Afin de prévoir le volume et la nature des intrants organiques, l’estimation des pertes en humus d’un sol cultivé est détaillée en cliquant ici.
Les propriétés fertilisantes de l’humus sont définies par le ratio carbone/azote (C/N). Un C/N de 20 signifie que l’humus contient 20 fois plus de carbone que d’azote. Les débris végétaux riches en azote produisent un humus ayant un C/N autour de 15. Les débris végétaux contenant beaucoup de cellulose produisent des humus ayant un C/N souvent supérieur à 20 et ils sont en quelque sorte des humus pauvres. Ils sont pourtant appréciés pour leurs propriétés de restructuration des sols parce qu’ils produisent des agglomérats très stables avec l’argile. Plus le C/N est faible, plus l’humus se dégrade rapidement.
Dans un milieu naturel (forêt) ou artificiel (champs, potagers…), s’il y a trop de carbone dans la matière organique fraiche, les micro-organismes vont consommer une grande partie des réserves d’azote présentes dans le sol se traduisant par une carence en azote pour les plantes. Cette carence est également désignée « faim d’azote » qui se produit quand l’agriculteur répand dans son champ des matières organiques trop riches en carbone (par exemple pailles non transformées en fumiers). Une faim d’azote se caractérise par des végétaux chétifs et un feuillage vert pâle. Mais cet azote est temporairement non disponible pour les plantes. Une partie de cet azote sera restituée avec la mort de micro-organismes consécutive à la réduction de l’excès de carbone. Une terre trop riche en carbone se corrige par un apport d’azote minéral (par exemple : urée perlée, ammonitrate) dont la dose est définie par une analyse de nitrate à l’aide de bandes tests de laboratoire (voir à cet endroit).
Il est intéressant de connaître la quantité d’humus provenant des différents types de matières organiques fraîches. Le coefficient isohumique (ou coefficient K1) définit le taux d’humus stable restant après 3 ans d’enfouissement d’une quantité donnée de matières organiques fraîches. Pour chaque type de matière fraîche, le coefficient K1 appliqué sur la matière sèche précise ce qui restera en humus stable. Par ex : pour un K1 de 15 qui corresponde à un engrais vert dont le taux de production de matière sèche par rapport à la MOF est de 20 %, une tonne de MOF produira 30 kg d’humus stable. On constate tout de suite que l’engrais vert produit très peu d’humus stable alors qu’une tonne de fumier bien décomposé dont le K1 est de 50 avec une matière sèche de 20 % produira 100 kg.
Le coefficient K2 exprime en % le taux d’humus détruit tous les ans par minéralisation. D’une manière générale, on admet pour les cultures maraîchères une perte d’humus de 2 % dans le nord de la Loire et de 3 % dans le midi (5).
1) Magdoff et Weil, 2004
2) À McGuire - Can Manure Sustain Soils? – 7 février 2018 ;
3) Frayssinet – fertilisation organique des sols
5) La fertilisation des cultures légumières – Ctifl ; H Zuang – Edition 1982