Initiation aux méthodes intégrées au jardin potager
Chapitre : Le sol de culture
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⇒ Rhizosphère, mycorhizes et sols suppressifs.
Les plantes hébergent un très grand nombre d’organismes à l’intérieur ou à la surface des tissus. Ces organismes forment le microbiote de la plante. Certains micro-organismes dénommés endophytes (qui vivent dans une plante durant au moins une partie de son existence) dont certains prospèrent dans la sphère des racines, ont une importance majeure pour les plantes. Les connaissances sur leur diversité et leurs fonctions écologiques restent encore lacunaires. Les populations épiphytes vivent sur la surface ou à proximité des racines. La rhizosphère désigne la zone où les micro-organismes du sol sont le plus concentrés spécifiquement influencés par le système racinaire avec un niveau de diversité taxonomique élevé.
La phyllosphère abrite les micro-organismes qui vivent sur une plante au-dessus du sol. Si les ressources nutritives à la surface des feuilles sont limitées, on estime que le microbiote épiphyte a son importance dans la protection des plantes contre les maladies foliaires.
Les endophytes ont été découverts récemment alors qu’ils sont omniprésents chez les végétaux. On estime que la plupart des végétaux vivent en symbiose avec des endophytes qui leur procurent différents services liés à l’assimilation de nutriments et leurs capacités à se défendre contre des bioagresseurs et même des stress physiques (comme des périodes de sécheresse).
Les bactéries associées aux plantes sont classées en groupes bénéfiques ou délétères par rapport à leurs effets sur la croissance des plantes. Les bactéries bénéfiques du sol, sont généralement appelées Rhizobactéries Revalorisant la Croissance des Plantes (RFCP ou PGPR en anglais (Plant Growth Promoting Rhizobacteria)). Les RFCP extracellulaires agissent au niveau de la surface des racines (dénommé la rhizoplane) ou dans les espaces entre les cellules du cortex racinaire, tandis que les RFCEP intracellulaires désignent des bactéries qui sécrètent des substances ciblant des cellules racinaires pour former des nodules spécialisés abritant ces RFCEP (comme le rhizobium qui fixe l’azote atmosphérique).
Dans la rhizosphère, l’activité microbienne est stimulée par des composés organiques secrétés par les racines. La composition de ces exsudats racinaires est très variée d’une espèce végétale à une autre. Ces exsudats racinaires contiennent différents substrats (glucides, sels minéraux, acides aminés ….) fournissant une riche source d'énergie et de nutriments pour les bactéries. On estime qu’environ 5 à 30 % des substances synthétisées par les plantes sont transférées aux micro-organismes de la rhizosphère par le biais des racines.
Ce processus est appelé rhizodéposition. Les micro-organismes qui colonisent la rhizosphère sont appelés rhizobactéries. Il est établi que seulement 1 à 2% des bactéries du sol participent à ce processus (1), mais le nombre de bactéries qui se trouvent autour des racines des plantes est généralement 10 à 100 fois plus élevé par rapport au sol non exploré par les racines.
Cet environnement nourricier donne l’avantage aux micro-organismes qui ont un potentiel de multiplication rapide. La croissance des champignons est aussi stimulée, mais dans une moindre mesure. À noter que les exsudats racinaires peuvent inhiber la germination de certaines plantes concurrentes.
Les exsudats racinaires peuvent favoriser l’émergence de micro-organismes telluriques (a) pathogènes comme l’agrobacterium tumefaciens responsable de la galle du collet (2), les Erwinia qui sont des agents pathogènes de certains arbres fruitiers (feu bactérien) ou de plantes potagères, ou le champignon Plasmodiophora brassicae responsable de la hernie du chou. Le plasmodiophora brassicae perdure dans le sol sous la forme d’oospores (b). Ces micro-organismes pathogènes s’ils ne sont pas maîtrisés par les rotations et la solarisation, peuvent avoir des conséquences économiques importantes.
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La promotion indirecte de la croissance des plantes se produit lorsque les RFCP altèrent ou empêchent les effets délétères d'un ou de plusieurs organismes phytopathogènes. Cela peut se produire en induisant chez la plante une résistance aux pathogènes ou quand les RFCP produisent eux-mêmes des substances antagonistes. Ces RFCP sont aussi considérés comme des phytoprotectrices en raison de leurs capacités à s’opposer à l’activité d’agents pathogènes par différents procédés (production d’antibiotiques, compétition alimentaire…). Elles sont à l’origine des propriétés des sols « résistants » étudiés avec plus de précision dans l’article ci-dessous : « Les sols suppressifs ».
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La promotion directe de la croissance des plantes par les RFCP consiste soit à fournir à la plante un composé synthétisé par une bactérie, par exemple des phytohormones (auxine, gibbéreline...), soit à l’exemple des azotobacters, en aidant l’acquisition de certains nutriments comme l'azote atmosphérique. Certaines bactéries favorisent l’extraction du fer des complexes minéraux par des sidérophores (c), ou encore, à l’exemple du Bacillus Amyloliquefaciens, produisent la solubilisation des phosphates. D’autres bactéries stimulent la croissance des racines.
Des RFCP peuvent intervenir sur le développement des plantes en utilisant plusieurs de ces mécanismes directs et indirects. Les champignons mycorhiziens connus pour apporter aux plantes du phosphore sont aussi capables de renforcer leurs défenses naturelles contre des stress abiotiques ou des bioagresseurs. Le champignon filamenteux Coniothyrium Minitans stimule le développement racinaire et détruit les sclérotes du sclérotinia parasite redoutable des cultures de tournesol. Des études récentes ont démontré la suppression d’agents pathogènes fongiques d'origine tellurique par des pseudomonades fluorescentes qui libèrent des sidérophores chélatant le fer (dans des sols peu riches en fer), ce qui rend le fer inaccessible à ces agents pathogènes (3).
Toutes ces données démontrent qu’il est important de ne pas déséquilibrer la rhizosphère par des substances toxiques : rejet des résidus industriels ou domestiques ; usage inconsidéré de pesticides rémanents synthétiques ou bios comme les composés contenant du cuivre…
Les influences majeures que les micro-organismes de la rhizosphère exercent sur les plantes deviennent aujourd'hui des outils importants pour protéger la santé des plantes et promouvoir leur croissance. Depuis quelques années, des recherches sont entreprises sur les RFCP dans l’espoir qu’elles complètent ou remplacent les produits agrochimiques (engrais et pesticides) par divers mécanismes intervenant dans la production d’humus, le recyclage des nutriments minéraux, le renforcement des défenses naturelles des plantes et la lutte biologique contre les bioagresseurs. Les résultats obtenus et leurs limites sont exposés ici.
a) Tellurique : désigne des bactéries qui vivent naturellement dans le sol.
b) Oospore : type de spores sexuelles très résistantes qui se forme à la suite de la fécondation d'une oosphère (gamète femelle chez les végétaux).
c) Sidérophores : petites molécules peptidiques comprenant des groupes fonctionnels capables de produire du fer chélalé. Des centaines de sidérophores ont été identifiés chez des micro-organismes cultivables, dont certains sont largement utilisés par différents micro-organismes, tandis que d'autres sont spécifiques à certaines espèces.
Évoluant dans la rhizosphère, des champignons sont capables de former des structures symbiotiques avec les racines végétales dénommées mycorhizes. On estime que 90 % des espèces végétales sont mycorhizées. Les complexes ectomycorhiziens très fréquents chez les plantes incorporent souvent des bactéries endophytes spécifiques. Les champignons mycorhiziens aident leurs plantes hôtes à acquérir des nutriments minéraux du sol contenant notamment du phosphore et de l’azote. En retour, ces champignons reçoivent des sucres. Cette association mutualiste permet une meilleure absorption des oligo-éléments peu mobiles dans les sols. Le transfert des sucres vers les champignons mycorhiziens participe à l’augmentation de la réserve en carbone du sol. Quand certains éléments sont présents en fortes quantités et deviennent une menace toxique, la mycorhization peut jouer un rôle de protection de la plante par une forte rétention de ces éléments (4).
Il existe 3 types de champignons capables de former ces structures associatives, dont les Champignons Mycorhiziens à Arbuscules (a) (C.M.A.) également dénommés gloméromycètes. Les C.M.A. présentent des structures en forme de pinceaux à l’origine de l’expression « arbuscule ». 80 % des plantes terrestres sont associées avec les C.M.A. et ces derniers couvrent environ 20 à 30% de la biomasse microbienne du sol.
La presque totalité des plantes cultivées est concernée par la symbiose mycorhizienne, sauf certains membres de la famille des brassicacées (anciennement dénommés crucifères comme le chou et le chou-fleur), ou de la famille des moutardes comme le canola et le crambe (5). Cette association entre plantes et champignons permet une exploration plus importante du volume du sol par le mycélium des champignons formant des structures filamenteuses dénommées hyphes, dans des zones non accessibles par les racines des plantes. C’est pour cette raison qu’il ne faut jamais oublier d’arroser ou d’épandre des engrais d’appoint au-delà de la zone apparente des racines, comme il ne faut jamais épandre des antifongiques rémanents qui auraient un impact néfaste dans la zone explorée par les mycorhizes sensibles à ces antifongiques.
Les éléments filamenteux des CMA présents en quantité importante dans les sols possèdent la propriété de renforcer l’agrégation des constituants du sol en secrétant une glycoprotéine hydrophobe liée à 9 % de fer et dénommée glomaline. La glomaline contient 30 à 40 % de carbone et on estime qu’environ 1/3 du carbone contenu dans le sol est sous forme de glomaline (6 - 7). La glomaline se lie à différentes particules minérales (argile limon et sable) pour former des agglomérats stables ce qui faciliterait l’absorption des nutriments par les hyphes des champignons. Les agrégats argilo-humifères sont davantage stabilisés quand le sol contient de la glomaline agissant comme une sorte de colle.
La glomaline serait unique parmi les composants du sol pour sa résistance et sa stabilité. D'autres composants du sol qui contiennent du carbone et de l'azote sont rapidement décomposés par les microbes du sol ce qui n’est pas le cas de la glomaline dont la durée de vie est estimée entre 7 et 42 ans selon les conditions locales.
Les rhizobactéries phytoprotectrices sont à l’origine des sols dits « résistants » ou « suppressifs », dans lesquels le développement d’un ou plusieurs agents des maladies telluriques fongiques ou bactériennes est limité malgré leur présence dans le sol. Un sol dans lequel certaines maladies s'expriment facilement est dénommé « sensible » ou « permissif ». En ce qui concerne les cultures maraîchères, il existe un bon exemple de sol résistant en région PACA : les melons cultivés dans la région de Châteaurenard où prédominent les alluvions de la Durance sont connus pour être peu affectés par la fusariose vasculaire. Citons encore les sols suppressifs à la fonte de semis des betteraves causée par le champignon Rhizoctonia solani, et pour les grandes cultures, les sols suppressifs au piétrin-échaudage du blé causé par un champignon de la famille des Gaeumannomyces ou encore à la pourriture noire des racines de tabac causée par le Tielaviopsis basicola.
Les sols suppressifs qui d’ailleurs ne sont pas très fréquents ont fait l’objet de recherches depuis plus d’une vingtaine d’années afin de connaître les causes de ces résistances s’opposant au développement de certaines maladies. Les facteurs sont complexes et pas tous connus. L’apport de matière organique sous forme de composts, voire de boues d’épuration contenant beaucoup de parois de bactérie (qui favorisent le développement d’actinomycètes) a pour conséquence de réduire la virulence de certains parasites vivant dans le sol tels que les champignons des rhizoctones ou celui qui provoque la fonte des semis (pythium). Des chercheurs ont aussi constaté que la résistance au Pseudomonas solanacearum, agent du flétrissement bactérien, était liée à la présence de certains types d’argiles. Le maintien dans le sol du pathogène L Moocytogène est multiplié par 3,5 quand la biodiversité microbienne du sol est réduite de 30 % (8).
Les différentes formes de résistances acquises ou constitutives des sols suppressifs.
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Soit par antagonisme en produisant des enzymes hydrolytiques, telles que les protéases, les chitinases, les lipases, les lucanases, qui peuvent lyser les cellules de champignons pathogènes, ou des antibiotiques et des bactériocides (b) qui nuisent à la croissance ou aux activités métaboliques d'autres micro-organismes
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Soit par interférence en réduisant l’action de molécules impliquées dans la croissance des organismes pathogènes.
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Soit en activant la résistance interne des plantes.
D’autres résistances acquises ou constitutives sont impliquées par la présence dans le sol de certains micro-organismes antagonistes comme le Pseudomonas spp fluorescens, le fusarium oxysporum etc.. Ces micro-organismes réduisent la gravité de différentes maladies d’origine tellurique selon plusieurs procédés :
En ce qui concerne l’induction de mécanismes de résistance dans la plante encore dénommée Induced Systemic Resistance» (ISR), il est intéressant de citer l’exemple des concombres. On a constaté que des souches de rhizobactéries protégeaient les feuilles contre l'anthracnose causée par le champignon Colletotrichum orbiculare (9).
Des études ont montré que la résistance peut être aussi la conséquence d’une compétition entre micro-organismes pour absorber les éléments nutritifs présents dans le sol. Les micro-organismes pathogènes ne peuvent alors rivaliser avec les micro-organismes utiles quand ces derniers sont prédominants. D’une manière générale, on constate que la compétition pour les éléments nutritifs est plus intense en terre résistante qu’en terre sensible ce qui montre que la quantité de biomasses microbiennes du sol résistant joue un rôle important.
Dans la résistance constitutive, l’environnement du sol s’oppose à l’expression du pouvoir pathogène de l’agent infectieux introduit ou préexistant. Pour la résistance acquise, celle-ci s’installe progressivement année après année suite à l’emploi de certaines techniques culturales ou plus fréquemment, ce qui paraît étrange à première vue, par la culture répétée de la plante-hôte sur la même parcelle.
La résistance biologique des sols à certaines maladies a été attestée par la disparition de cette résistance dans un échantillon du sol quand il est stérilisé. Des chercheurs de l’INRA ont mis en évidence qu’il existe 10 fois plus de fusariums spp sauvages dans un sol résistant de Châteaurenard que dans le sol sensible d’Ouroux (Dt du Rhône) alors que l’agent pathogène, le fusarium vasculaire, s’installe à des niveaux comparables dans les deux sols. En l’absence de plante sensible, la population de l’agent pathogène évolue peu au cours du temps aussi bien dans le sol résistant que dans le sol sensible et il persiste plus d’un an après son introduction. En présence d’une plante sensible, la population de l’agent pathogène tend à augmenter en terre sensible en relation avec l’évolution de la maladie (10).
Dans le passé, la lutte contre les organismes pathogènes d’origine tellurique faisait appel à des substances toxiques pour l’environnement. Aujourd’hui, ces substances sont le plus souvent interdites. En agriculture intégrée, ces substances sont remplacées par la mise en place de pratiques culturales adaptées comme les rotations qui permettent de rompre le cycle de développement de certains pathogènes, ou l’augmentation du pH par le chaulage des terres acides qui s’accompagne d’une réduction de gravité de la fusariose. On cherche à augmenter la biodiversité microbienne par l’apport d’amendements organiques compostés. Des études ont montré qu’une perte de 30 % de la diversité microbienne du sol induit de 3 à 5 le temps de résidence des micro-organismes pathogènes dans le sol (11). On cherche aussi à introduire des préparations contenant des spores d’agents bactériens tels que le pseudomonas ou le Coniothyrium minitans. En agriculture intégrée, l’entretien de la biomasse des sols par un apport conséquent et permanent en matière organique favorisant la microflore utile, est devenu incontournable comme moyen de lutte complémentaire contre les maladies des végétaux.
a) Arbuscules : excroissances de mycélium de champignon présentes dans les cellules des parties souterraines de l’hôte ayant la forme d’un petit arbre.
b) Les bactériocides se diffèrent des antibiotiques par leur spectre relativement étroit et ne sont toxiques que pour les bactéries étroitement productrice.
1) Antoun et Kloepper, 2001
2) Sol : interface fragile P. Stengel, S. Gelin INRA 1998.
3) Loper, 1988 , Paulitz et Loper, 1991 , Dwivedi et Johri, 2003
4) La Mycorhize à arbuscules : quels bénéfices pour l’homme et son environnement dans un contexte de développement durable - Anissa Lounès-Hadj Sahraoui. Synthèse Revue des Sciences et de la Technologie N° 26 avril 2013 - Université Badji Mokhtar Annaba – Algérie.
5) Les champignons mycorhiziens arbusculaires et leur symbiose végétale
6) La symbiose mycorhizienne – une association entre les plantes et les champignons – Jean Carbaye (Directeur de recherche INRA)
7) Glomalin: Hiding Place for a Third of the World's Stored Soil Carbon - United States Department of Agriculture - AgResearch Magazine
8) Vivant et al. 2013
9) Plant growth-promoting rhizobacteria (PGPR): Their potential as antagonists and biocontrol agents – genetic and molecular biology – dec 2012 - Anelise Beneduzi , Adriana Ambrosini , and Luciane MP Passaglia
10) Recherches sur la résistance des sols aux maladies. IX. - Dynamique des populations du Fusarium spp. et de Fusarium oxysporum f. sp. melonis dans un sol résistant et dans un sol sensible aux fusarioses vasculaires - Claude ALABOUVETTE, Yvonne COUTEAUDIER Jean LOUVET Marie-Louise SOULAS I.N.R. A., Station de Recherches sur la Flore pathogène dans le Sol, Dijon – agronomie 1984
11) Vivant et all – 2013 ; signalé dans l’atlas français des bactéries du sol.