Initiation aux méthodes intégrées au jardin potager
Chapitre : Le sol de culture
Articles précédents ou suivants ; cliquez sur un titre pour accéder à la page
⇒ Complexes agilo-humiques et capacité d'échange cationique.
Certains éléments de l’humus, notamment les acides humiques gris et des humines, ont la faculté de se lier à l’argile pour former des Complexes Argilo-Humiques (CAH) connus pour être très stables. Les micelles d’argile et les molécules d’humus électronégatives sont reliées entre eux le plus souvent par des cations de calcium. Ce type de liaison freine la minéralisation de l’humus. La stabilisation de l’ensemble est d’autant plus grande quand les composés humifères sont polycondensés favorisé par des conditions du sol ni trop acides ni trop basiques (1). Ces agrégats jouent un rôle important dans la structuration des sols en ménageant entre eux des espaces lacunaires remplis d’air et d’eau.
Les CAH sont également appelés « complexes adsorbants », expression qui regroupe d’autres substances ayant la faculté de retenir à leur surface des ions présents dans la solution du sol. Plus les micelles d’argile sont fines, plus leur capacité de rétention est grande ce qui favorise la stabilité des liaisons avec l’humus. Les surfaces des CAH chargées en électricité négative attirent les ions chargés en électricité positive (cations). Parmi les cations fixés par les CAH, les cations Mg₂⁺ (magnésium), K⁺ (potassium), Ca₂⁺ (calcium), Na⁺ (sodium), NH₄⁺ (ammonium), qui sont des nutriments pour les plantes, sont également retenus. C’est pour cette raison que les CAH sont considérés comme des réservoirs de nutriments.
Les CAH sont déclarés saturés quand tous les cations H⁺ sont remplacés par d’autres cations. Dans les sols habituellement étudiés, la proportion de cations fixée dans les complexes argilo-humiques est souvent celui-ci : Ca₂⁺ = 75 à 90 %, Mg₂⁺ = 10 à 30 %, K⁺ et NH₄⁺ = 5 à 10 %, Na⁺ = 2 à 5 % (3).
Les liaisons entre les CAH et les cations sont suffisamment faibles permettant aux cations d’être retenus sous une forme échangeable. Plus précisément, un cation ne peut être libéré dans une solution que s’il existe un autre cation capable de le remplacer et si la force de liaison de ce dernier avec le complexe absorbant est plus forte que celle du cation déjà fixé. Les CAH absorbent les cations dans un ordre d’affinité décroissante qui est celui-ci : Ca₂⁺> Mg₂⁺> K⁺> NH₄⁺> Na⁺> (3). Les échanges ont lieu jusqu’à ce que l’équilibre électrique du milieu soit atteint. Ainsi, l’absorption par les racines des plantes des cations fixés sur les CAH n’est possible que si d’autres cations les remplacent. Ces échanges ont lieu au niveau des radicelles.
Dans un milieu acide, les cations H⁺ ont tendance à remplacer les autres cations y compris les cations Ca₂⁺ qui lient l’humus et l’argile ce qui entraîne une déstructuration du complexe absorbant. Pour éviter cette déstructuration des CAH dans les sols pauvres en calcium, il faut apporter des amendements calciques rapides dès que possible. La chaux permet de neutraliser rapidement une terre trop acide, mais elle est interdite en agriculture biologique.
Les nitrates et les chlorures ne sont pas retenus par les complexes adsorbants. Par contre les ions ammonium (NH₄⁺) sont absorbés ce qui a pour avantage de former une réserve en azote assimilable par les plantes. Il est utile de rappeler que l’assimilation de l’azote par les plantes s’effectue de deux manières :
•
Adsorption des nitrates solubles dans l’eau du sol produits par la décomposition des matières organiques et des engrais azotés industriels (urée, ammonitrate…). Les nitrates sont la source d’azote la plus utilisée par les plantes.
•
Adsorption de l’ammoniac par des échanges d’ions entre les radicelles et les complexes argilo-humiques situés à leur contact. C’est la seule forme d’absorption de l’ammoniac par les plantes. Cette fixation de l’ammoniac par les CAH a pour avantage de limiter les pertes de cette forme d’azote par volatilisation.
Le fait que les nitrates très solubles ne peuvent être fixés sur les CAH, constitue un problème majeur dans le contrôle de la fertilisation de l’azote surtout en agriculture biologique qui interdit de réguler les besoins des plantes par un apport précis en sels minéraux azotés (voir l’article : la problématique de l’assimilation de l’azote en agriculture biologique). D’autre part, les cations ammonium sont en concurrence avec d’autres éléments (notamment le calcium et le magnésium) réduisant le stock de cations d’ammonium fixé par les CAH. Ainsi le stock d’ammonium est souvent insuffisant pour satisfaire les besoins des plantes dans les périodes les plus critiques.
Si la solution du sol est modifiée par l’apport d’engrais contenant des éléments solubles dans l’eau, certains cations (Ca₂⁺, H⁺…) quitteront le complexe argilo-humiques pour être remplacés par d’autres cations provenant de ces engrais (sauf les nitrates). Il est évident que ces propriétés sont très importantes en matière de fertilisation. Le mode de fixation de ces nutriments par les CAH évite que ces nutriments ne soient perdus par lessivage ou lixiviation.
Dans les sols très calcaires, on constate souvent une teneur élevée de calcaire soluble dans l’eau qu’accélère encore le CO₂ produit par une forte activité biologique consécutive à un apport de matières organiques. Ce calcium finit par saturer les complexes argilo-humiques au détriment des autres cations comme le potassium et le phosphore qui peuvent alors faire défaut. C’est pour cette raison que les sols trop calcaires ont du mal à retenir les engrais minéraux. Pour réduire cette influence du calcaire, il faut apporter des amendements argileux dont les modalités sont décrites ici.
Les CAH contribuent fortement à la mise en réserve du phosphore et du potassium qui sont des éléments importants de la fertilisation des sols. Une analyse du sol tous les 3 à 5 ans permet de contrôler l’évolution de ce réservoir.
Le phosphore est présent dans le sol sous forme organique ou minérale. La forme organique provient de la dégradation des matières organiques tandis que la forme minérale résulte soit, de l’altération de la roche mère (comme l'apatite dans laquelle le phosphore est associé au calcium), soit de la recombinaison d’ions phosphates présents dans la solution du sol avec du fer ou du calcium ou de l’aluminium pour former des phosphates insolubles dans l’eau.
Ce phénomène de rétrogradation est plus important dans les sols très calcaires ou très acides et il est accentué par les températures élevées de l'été ou quand le phosphore est concentré en surface. En outre, par rapport à une valeur du pH < 7 ou > 7, les sels insolubles de phosphores auront des propriétés différentes.
Dans les sols acides, les ions phosphates réagissent facilement avec l'aluminium et le fer pour former des composés plus stables que les composés phosphatés solides qui prennent naissance en milieu alcalin. On assiste alors à un véritable blocage du phosphore en milieu acide toutefois réversible par un chaulage destiné à augmenter le pH.
Les phosphates solides n’étant pas assimilables par les plantes finissent par s’accumuler dans le sol et ils représentent 95 % de la réserve totale du phosphore présent dans le sol.
Les plantes ont accès au phosphore selon les 4 sources suivantes :
►
Par assimilation des ions phosphate présents dans la solution du sol, ces ions provenant de la roche mère ou des engrais organiques. Le phosphore ne peut être assimilé par les racines que lorsqu’il est sous la forme d’ions présents dans la solution du sol. Ce phosphate soluble est en équilibre dynamique avec l'orthophosphate fixé dans des composés solides. Cet équilibre se caractérise par une quantité de phosphore soluble très faible de l’ordre de 0,1 à 0,4 % du phosphore total présent dans le sol. Cette forme d’assimilation du phosphore est donc peu rentable. La concentration en ions orthophosphate dans la solution du sol dépend du pH qui agit sur la solubilité des complexes formés avec d’autres éléments. Dès que le phosphore disparaît de la solution (absorbé par les racines des plantes), il est remplacé par prélèvement sur les réserves de phosphore fixé dans le sol jusqu’à ce que l’équilibre dynamique entre les phosphates libres et les phosphates bloqués dans le sol soit rétabli.
►
Par des procédés chimiques pour rendre un sel de phosphore soluble dans l’eau. Le phosphate bicalcique que l’on trouve dans les engrais industriels sous l’appellation de « phosphate soluble dans le citrate d’ammoniaque » est directement assimilé par les plantes.
►
Par prélèvement des ions phosphates stockés sous une forme échangeable dans les complexes absorbants. Pour cela, il est nécessaire que le sol soit riche en CAH. Les ions phosphates sont alors restitués aux plantes quand ces dernières en ont besoin. Des ions phosphate non absorbés par les plantes sont mis en réserve par l’intermédiaire des ions calciques fixés sur les CAH. Les ions calciques chargés en électricité positive forment un pont avec les ions phosphate chargés en électricité négative. Dans les sols riches en complexes adsorbants et surtout en CAH, cette forme de phosphate représente environ 5 % de la masse totale de phosphate présente dans les sols et cette réserve est disponible pour les plantes quand elle se trouve à proximité des radicelles.
►
La libération des phosphores est effectuée par des champignons et des bactéries comme le Bacillus Amyloliquefaciens qui est une bactérie aérobie stricte vivant dans le sol. Ce microorganisme qui colonise les racines des plantes, génère une enzyme phytase lui permettant de libérer les phosphates organiques du sol. Les champignons mycorhiziens prospérant en symbiose dans les racines des plantes, contribuent à hauteur de 90 % dans l’absorption des phosphates tricalciques des engrais minéraux quand le sol contient suffisamment d’ions calcium (4).
Il est évident qu’une bonne réserve en CAH est nécessaire afin de rendre possible une assimilation progressive des phosphates sans faire appel à un forçage à l’aide d’engrais chimiques à action rapide ou d’engrais organiques nerveux. C’est d’autant plus vrai qu’un apport massif de phosphate soluble n’est pas forcément la bonne solution quand le sol est carencé en humus, les phosphates étant rapidement fixés avec le fer et le calcium pour former de nouveaux composés insolubles. Bien souvent, les réserves de phosphates bloqués dans le sol suffisent pour satisfaire les besoins des plantes. Il suffit de les débloquer par un apport d’humus dans un sol correctement pourvu en argile.
Le potassium est présent exclusivement sous 3 formes minérales dans le sol :
•
Il fait partie des minéraux de la roche mère (micas, feldspaths), ou il est emprisonné dans des feuillets d’argiles. En fonction de la nature de ces argiles, la fixation du potassium est plus ou moins élevée. C’est la forme la plus abondante, mais sa libération est très lente.
•
Il est présent sous la forme échangeable à la surface des argiles et des C.A.H.
•
Il est en solution dans l’eau du sol.
Le potassium est un élément plus ou moins mobile en fonction des caractéristiques du sol. La lixiviation est limitée quand les sols sont bien entretenus et riches en CAH. Elle est plus importante dans les sols sableux pauvres en humus ou à faible teneur en argile. Les pertes peuvent descendre jusqu’à 1 kg de potassium ha/an si le sol contient 24 % d’argile et peut atteindre 46 kg ha/an quand le sol ne contient que 5 % d'argile (5). Les réserves de potassium échangeable fixé par les complexes adsorbants peuvent être multipliées jusqu’à 23 en fonction du type de sol (6).
En dehors des CAH, il existe d’autres éléments dans le sol en particulier des argiles libres (kaolites, montmorillonites, Illites…) ou des éléments absorbants apportés par le jardinier (zéolithes, tourbe blonde … ) qui sont capables de retenir des cations. La Capacité d’Echange Cationique (CEC) est un indicateur du potentiel de fixation et de mise en réserve de cations que tous les complexes adsorbants sont capables de stocker et de restituer. La CEC dépend de la teneur en argile et matières organiques et de la composition des argiles. Les autres matériaux ont une influence négligeable sur la CEC (a).
En ce qui concerne les argiles et pour donner quelques exemples, l’humus a une capacité d’échange 30 fois supérieur aux kaolites, 10 fois supérieur aux illites, 3 fois supérieur aux montmorillonites.
Quant aux bases échangeables, expression que l’on rencontre souvent dans des études d’agronomie ou dans des rapports d’analyse de laboratoire, il s’agit des cations (notamment K⁺ Ca₂⁺ Mg₂⁺ Na⁺) fixés sur les complexes argilo-humiques et les autres substances colloïdales qui peuvent s’échanger avec ceux présents dans la solution du sol. Pour ces réserves d’éléments nutritifs, une analyse de laboratoire doit au moins préciser les valeurs trouvées par rapport à un optimum ainsi que le taux de saturation (T/S) des complexes adsorbants. Ces derniers peuvent retenir des substances à liaison forte comme les acides forts interdisant aux cations utiles pour les plantes de se fixer sur les sites d’adsorption. Le rapport T/S donne le taux de saturation en acides faibles (correspondant aux cations utiles pouvant être adsorbés) qu’un complexe adsorbant est capable de fixer. Par exemple un T/S de 60 indique que 60 % des sites du complexe sont utilisés pour fixer des acides faibles, les 40 % restant étant pris par des éléments à liaison forte.
Source : Agr'eau -2b - Objectifs - Analyser son sol pour mieux le connaître - Chambre d'agriculture de la Drome - nov 2013
La CEC est exprimée dans les analyses de laboratoire le plus souvent en meq/100 g. Cette valeur précise le nombre de cations ammonium (NH₄⁺) exprimé en nombre de charges pour 100 g (milliéquivalents pour 100g) que tous les sites d’échange de la CEC sont capables d’adsorber mesuré par spectrophotocolorimétrie automatique.
Plus la CEC est élevée, plus le sol peut adsorber et restituer les cations qui sont mis à la disposition des racines. La valeur de la CEC est modulée par différents facteurs comme la quantité de calcium et le pH du sol.
La plupart des laboratoires agréés par le Ministère de l’Agriculture sont capables d’effectuer des analyses permettant de connaître la CEC selon une méthode standardisée.
a) Tous les minéraux ayant une taille de particule extrêmement petite ont une petite CEC qui se forme au niveau des ruptures de liaison. La CEC augmente à mesure que la taille des particules diminue. Mais leur capacité d'échange due aux liaisons brisées est insignifiante.
1) Le sol vivant Base de pédologie – biologie des sols – J.M. Gobat, M. Aragno, W. Matthey
2) Les facteurs chimiques de la fertilité des sols (bases échangeables ; sels ; utilisation des échelles de fertilité) - B. DABIN
3) Écologie – approche scientifique et pratique – 6e édition - Claude Faurie & all
4) The mycorrhizal contribution to plant productivity, plant nutrition and soil structure in experimental grassland - Marcel G. A. Van Der Heijden & all – New phytologist - 15 8 2006,
5) Askegaard et al. (2004)
6) Havlin et al., 2004
Analyses de laboratoire, page suivante : Autres données intéressantes pouvant figurer dans une analyse de laboratoire